j18. San Martin – Santa Catalina de Somoza. 32,16 km. 7:38h

Je me réveille à 6:55h!  Les jeunes qui ont commencé hier à Léon dorment encore. Je quitte le dortoir en silence.

Le déjeuner étant à 7h à Santa Ana, rien n’était mal joué, j’étais reposé de cette grosse journée et mes pieds semblaient prêts à remettre ça. Le moral en hausse, je retrouve Jean François à la table du repas et nous dejeunons de concert.

 24 km jusqu’à Astorga qu il faut voir, ce sera une journée tranquille et je la démarre serein.   Le froid est en recul, la mini polaire suffira, et je reprend le chemin le long de la route, les écouteurs vissés sur les oreilles car la circulation du lundi est bruyante mais on partage la vallée.

A propos de vallée, la meseta est bien passée, le paysage change et au loin des montagnes se dessinent. Est-ce la Cantabrie? no se!  Le chemin s’éloigne parfois de la route mais jamais longtemps, juste assez pour ménager les marcheurs et leurs précieuses finances.  Le  ciel est couvert mais il ne demande qu’à sourire…

Et c’est ce qu’il fait a Hospital de Órbigo, où j’achète une banane avant de passer le pont sur Rio orbigo.

C’est à peu près là qu’un nouveau type de nuage a assombri mon parcours. Un de ces nuages qui, même dans un ciel uniformément bleu, n’assombrit que vous quand tout est baigné de lumière.

    Un peu comme mes acouphènes, parfois présents et que moi seul perçois mais qui réduisent mon espace sonore.

Je passais ainsi le joli pont sur l’Órbigo, 

mais à la sortie du village, quand tout le monde a pris à droite pour suivre le chemin tracé par Villares de Órbigo afin d’améliorer le camino en l »éloignant de la route, j’ai continué, sur le tracé désaffecté qui retourne vers elle.

Car le nuage sombre était toujours là. Je n’arrivais plus à retrouver ce moment présent qui vous enivre quand rien ne parasite vos pensées.

   10 km de route avant St Justo de la Vega. 10 km pour revoir les mots qui, en s’évaporant, légers commes des bulles, avaient créé ce nuage qu’on m’envoyait et qui s’accrochait à mon pas, le tirant en arrière sans cesse pour que hier, ou avant-hier remplace le présent. 

Le Caminante ne peut pas, il ne veut pas, refaire le chemin passé, retourner sur ces pas pour réécrire l’histoire du chemin qu’on lui reproche d’avoir manquée. Il dit: Ce chemin était le mien, il s’efface à mesure que j’avance. Ce qui est derrière ne peut pas être reparcouru, ce serait une autre histoire.

Mais le nuage était là. Le présent, effacé avant que d’exister. Le plaisir envolé. Je remplacais par des pas les instants manquants. Les fleurs ont disparues, ou je ne les ai plus vues, les voitures couvraient le cours de mes pensées mais ne chassaient pas l’ombre autour de moi. Je devais décider, agir dans un monde où je n’étais pas, souffler au loin ces moments qui m’empêchaient d’avancer, d’exister dans ce présent sans lequel je tombe…

Mes pieds se taisaient, conscient, sans doute, que leur soutien m’était précieux: j’avançais, vite, sur ce chemin que je ne voyais plus.

Alors j’ai pris la décision, comme toujours quand le temps d’assombrit.

J’ai sorti le smartphone d’où le nuage était venu, et j’ai pianoté un peu, pour voir comment faire revenir le chemin sous mes pieds, sans froisser ou gêner ceux qui, de loin, me regardent passer.

     L’esprit plus libre de lui avoir assuré que les nuages (comme la pluie) n’arrêteront plus le pèlerin, j’arrivais sur la hauteur de san Justo de la Vega.

   Je nai rien retenu des 10 km qui venaient de passer sous mes pieds. Ils ont disparus, privés de la lumière du soleil par un nuage que moi seul ai vu.

   La haut, à la jonction où les pèlerins de ce matin retrouvais mon chemin, un mendiant guitariste chantait.  J’ai jeté quelque monnaie dans sa cebille, pour le remercier d’être là.

et San Justo est apparu en bas. Je revoyais la lumière, j’avançais a nouveau.

Il était presque midi. Le gps me dit que j’avais parcouru 20 km environ. Je ne les ai pas vus. Il y aura un blanc dans ce jour que je croyais bleu. Je laisse passer les cafés encombrés et traverse la rue au bout du village pour entrer à Hostal Juli, déserte, et où la patronne ( Juli?) accepte de mettre sa cuisine en route pour me faire un ‘plato combinado’ qui me permettra de monter jusqu’à Astorga.

  7€ plus tard ( meilleur prix rencontré, avec vin et café), il est 12:20, je resserre mes lacets et me tourne vers l’ouest par le pont médiéval.

à l’arrivée sur Astorga, un drôle de passage a été fait pour que les vélos puissent aussi l’emprunter.

Et ce sont trois Italiens à vélo qui s’arrêtent, m’ont-ils reconnu?, pour me demander d’où j’ai démarré, et depuis combien de temps. En italien mêlé d’espagnol, ils me félicitent et me souhaitent un bon chemin.

C’est assez rare que nos deux mondes se mélangent sur le chemin, hormis le soir à table. Je suis heureux et surpris qu’ils aient posé pied à terre juste pour échanger quelque mots avec moi. Mais ne suivons nous pas le même trajet, le même but, au fond: être là, même si ils y passent moins de temps.

         Nous nous recroiserons en haut de l’éprouvante côte qui nous mène au  centre d’Astorga. 

  Et la ville, magnifique, s’offre à mon regard. Je la traverse lentement, c’est là que presque tout le monde s’arrête aujourd’hui.

mais mon ciel ne s’est pas vraiment éclairci. Il est 13:30 et je sais que si je m’arrête maintenant,je ne tiendrai pas ma promesse et j’écrirai des mots qui s’envoleront en faisant des nuages. Il faut que je remplace les mots et je n’ai que les pas pour ça, ici. Alors, lentement, j’accélère, à la recherche des flèches jaunes, et je redescend vers la sortie de ville. Il est 13:30, j’ai fait 25 km, le village suivant  est à 4 km: 1 heure de gagnée.

Mais au village suivant, quand j’allais m’arrêter, je suis salué depuis un banc, par deux autres italiens qui étaient avec moi au repas hier et avant-hier soir. Ils sont surpris que je sois là, ils savent l’effort qu’ils viennent de faire et leur considération est visible. 

14:20…. Nous décidons, ensemble, de faire encore 5 km pour arriver a Santa Catalina de Somoza. Je m’assure par précaution ( l’ascension est permanente jusqu’à 975m.) qu’une place est disponible. Eux, venaient de le faire sur le banc. Et nous reprenons le chemin.

15:12 L’eglise apparait au bout du sentier.

Le patron de L’hospederia San Blas, ici en photo avec sa famille,

 est un homme souriant qui me laisse m’installer, me doucher et faire ma lessive avant que de remplir la crédentiale et  enregistrer mon passage. 18,25€ : lit, dîner et petit déjeuner. Inimaginable sur notre Camino en France, mais on dira que je médis encore… 

    Le temps de réaliser que j’ai réussi à écrire tout ça en ne parlant que du chemin ( et des nuages) et c’est l’heure du repas. Ce sera donc ainsi désormais? Dire ce qu’on fait sans dire ce qu’on pense?   La procédure ,quoi! Le gps en somme.:

  Mais je ne voulais pas écrire un évangile, seulement un blog pour que sourient mes enfants et peut-être, peut-être les voir partir un jour sur ce chemin où les rêves reprennent leur place. Peut-être même pour y venir étendre mes cendres au long de la meseta , comprendre ce que j’y ai aimé, qui leur plaira ou pas.

    Mais un blog, où je dis le chemin comme il est et non comme je le vois? Où j’efface ce que je rêve pour n’y mettre que ce que je vois? Je ne crois pas que je vais y passer du temps.  Alors puisqu’il faut choisir entre le bleu des fleurs qui sera toujours celui des années perdues et le gris des nuages qui s’échappent des mots légers, je vais le faire sans hésiter et renoncer à dire que le chemin fait rêver. Je dirai, un temps, combien il mesure ou jusqu’où il monte, et je garderai pour moi ce qu’il murmure et qu’on entend qu’en y posant ses pas.

    Parce que ‘les nuages’, je n’aime pas ça, et que j’en avais des choses à voir, à Astorga…

     Mais si je me tais, je vous souhaite d’abord de faire un jour, vous aussi, un ‘Buen Camino’.

2 réflexions sur “j18. San Martin – Santa Catalina de Somoza. 32,16 km. 7:38h”

  1. Bonjour, nous suivons ton périple depuis le début et aujourd’hui il nous semble que tu aurais un beau coup de blues. Serait ce l ivresse du chemin ou le rosé espagnol?
    Enfin bon courage pour la suite. Comptes tu terminer le chemin cette année?

    • Un peu de tout, peut être, (sauf le rosé) On ne peut pas être zen tout le temps comme Siddhārtha! Mais rassure toi: Comment savoir qu’on est bien si on est jamais mal? C’est un problème de référentiel: Je recentre, comme mon gps.
      Et ‘oui’, j’espère y arriver cette année mais cela dépend du chemin, c’est lui qui dialogue avec mes pieds. Je laisse venir: Je fais confiance au pouvoir de « l’instant présent » pour décider au bon moment.

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