Je devais m’en douter, la journée d’hier n’a pas arrangée mes misères. Mais ‘ la fin justifie les moyens’: j’avais un objectif ( déraisonnable, d’accord!), je l’ai atteint, je suis en paix avec moi-même.
La nuit à l’Albergue municipale a été parfaitement inconsciente pour moi. Totale déconnexion, même pas pipi à 5h, c’est vous dire! Et ce malgre la sieste accidentelle de l’aprèsmidi. Quand je vous disais que j’étais fatigué.
Donc j’émerge à 6h quand d’aucuns s’agitent et je constate que la plupart des 12 dormeurs de la chambrée ne bougent guère non plus, il faut dire que le ‘desayuno’ est à 7:00.
Rangement du sac, pommadage du tendon, bandage et rangement du sac, je descend au déjeuner à 7:00. Ils y sont déjà, tant pis.
Et à 7:30, le jour se lève et je cherche un peu la direction à prendre mais comme une chinoise avance, le nez collé sur son smartphone, je la suis… un peu car bien sûr, chaque pas droit est une souffrance, il va falloir aller doucement.
A 7:40, un pèlerin d’acier me confirme la direction: au dela de l’echangeur routier.
puis le long de la route. Pas grand dénivelé aujourd’hui, je le rappelle à ma tendinite qui se calme lentement après 2 km tandis qu’un pèlerin, aussi atteint que moi, me dépasse lentement.
Et c’est en ligne presque droite, le long de la route et des champs infinis, que je reprends lentement goût au plaisir d’être, cheminant dans cet environnement épuré.
Je branche mes écouteurs et Cabrel m’aide à ne pas oublier que, même lentement, j’évolue dans un bel espace de liberté ( Mandela…) et mon pas se cale sur la musique, la quiétude me reinvestit.
A 8:05 , entrée dans Poblacion de campos. J’ai vu dans le guide que deux chemins étaient possibles jusqu’à Villalcazar. Observant que les pèlerins suivent aveuglement le premier rencontré, j’opte pour le second qui traverse le rio Ucieza, longe encore la petite route de ce matin qui est très peu fréquentée mais me fera gagner un kilometre, d’abord, et surtout éviter pour un temps l’abondance de marcheurs qui me tenteraient à accélérer.
Bien vu, ce chemin est désert et tout a fait agréable dans la lumiere dorée du matin.
Je marche de mieux en mieux, je dois lutter pour ne pas accélérer, mais je rattrappe quand même un homme âgé qui va son train.
C’est Candido. Je l’ai déjà dépassé souvent les jours précédents, mais là j’echange avec lui en espagnol: nos noms, nos pays, nos douleurs, la routine mais pour un instant le plaisir de l’empathie partagée. Il me serre un moment contre lui en me souhaitant ‘buen camino’ et je reprends ma course lente et pourtant plus grande que la sienne.
La traversée des deux villages suivants à 7 et 9 km du départ me fait remercier d’avoir choisi ce chemin plutôt que l’autre. Tout y est calme et tranquille.
et la plaine reste présente.
Je commence même à croiser quelques rares fleurs, bleues comme je les aime, et qui s’évertuent à braver les conséquences de la culture de masse.
j »en avais déjà repérées hier dans ma course vers el Correos:
Le retour du papillon serait une preuve que le bio est en marche, mais je l’attends encore!
A Villalcazar de Serga, il est 10:15 et j’ai fait 13 km dans la douceur du matin. Je ne vois pas arriver les pèlerins ayant pris la voie du nord, tant mieux. Je m’arrête au café San Domingo pour restaurer un peu de calme dans mes chaussures et d’agitation dans mon estomac:
Seul dans cette halte matinale, grâce au chemin parallèle, l’espagne est à moi pour 5,10€: Tortillas, zumo de naranja y cafe solo, mon nouveau menu du matin.
10:30- Retour au chemin et à ses paysages enivrants de quiétude, j’ai quitté la fine polaire et coiffé mon chapeau pour affronter la chaleur naissante.
Je ne me lasse pas de cette vue à l’horizon de laquelle le ciel bleu acheve le décor. Le ‘Magicien des couleurs‘, ici, n’a pas utilisé toutes ses teintes, il a choisi celles qui apaisaient le regard et adoucissaient l’ esprit. ( enfin, le mien. Chacun son chemin!)
La musique dans mes oreilles, le soleil sur ma peau, le bruit discret de mes pas sur le chemin, et j’avale les derniers 8 km qui me séparaient de ‘Carrión de los Condes’ où je m’arrêterai aujourd’hui. Non qu’il soit tard, mais la prochaine auberge est à 17 km et ajoutés au 20 d’aujourd’hui, mon tendon d’Achille arriverait dans un état que je ne veux imaginer.
Michael, un irlandais, à l’accent déroutant mes compétences, me dit qu’il s’arrête là aussi, mais je ne l’encourage guère au dialogue: Je perds trop de mots même simples dans son discours.
C’est donc seul que j’entre à 11:30h dans la ville, évitant soigneusement la place où des centaines de Tshirts et sacs colorés ont envahis l’ensemble des terrasses de café et je file, sous les regards sournois, vers les « Filles de la charité de St Vincent de Paul » dont j’ai noté qu’elles avaient déjà ouvert leur porte ( merci Miam-miam-dodo) et parceque j’avais apprécié l’acceuil chrétien à Burgos.
Ici, pas un mot de francais, les soeurs ont largement l’âge de la retraite, mais leurs locaux sont admirables de modernité, de calme et si le seigneur et sa mère sont présents, ils ne deviennent jamais envahissants.
On ne me demande pourtant que 5 € pour y dormir, j’ai presque honte de donner si peu à cette église, en échange de tant de confort. Même la wi-fi est prévue, meilleure que dans tous mes précédents séjours. Dites merci, c’est pour vous que je connecte!
Apres les formalités et le petit nettoyage, je pars découvrir cette superbe bourgade qui mériterait autre chose qu’un simple passage.
Je m’arrête sur la place mayor pour une ‘pizza et rosé’ pendant que la foule bariolée part à la recherche des auberges locales.
avant d’aller à la rencontre des églises, places, jardins, nombreuses boutiques et restaurants consacrés pour la plupart aux pèlerins de passage.
En debut de soirée, je retourne acheter une tomate, une banane et des fruits secs pour la longue steppe vierge de demain ( et boire une bière!).
Et après les dernières visites à ce bel endroit que je ne reverrai peut-être jamais, je vais engloutir un plat de pâtes. Paraît que c’est bon pour la marche… Mes petits enfants pensent que c’est bon tout court.
Un jour je les emmènerais sur la meseta pour leur montrer la couleur des champs sous la lumiere d’Espagne.
….
Bonne nuit. Je vais prier… pour mon tendon.